Carrosse

Ma première peinture, datée du 29 mai 2009. J’avais promis à une amie de venir la voir avec un carrosse, et n’étant pas très manuel, j’ai honoré ma promesse à ma façon.

Affairée sans grande conviction à son ouvrage de broderie, elle crut l’entendre durant un instant. Un bruit bref, sourd, lointain qui mourut aussitôt émis, se noyant dans le brouhaha formidable de la place publique où éclats de voix et rires gras se mêlaient aux cris des enfants. Qui déclamait un avis, monté sur un piédestal, qui pleurait sous les coups de sa mère, les mains noircies de terre, qui choquait son godet avec celui de son voisin, sur une anecdote aussi vaseuse que la bière qu’il ingurgitait, qui hâlait les passant pour les attirer vers ses étals… Et dans ce vacarme infernal, l’oreille aux aguets de la jeune demoiselle cherchait en vain le son tant attendu.

Jusqu’à ce que le roulis du gravier résonne au plus profond de son être, mariant le chant des pavés que caresse et que frappe le bois au rythme régulier des sabots. Alors les bruits de la ville s’estompèrent dans son esprit, tant le rabot du menuisier que la meule du rémouleur ou la girelle du potier, tous disparurent dès que se dessina au détour de la grand-route le fabuleux cortège. Les deux alezans, éreintés, veines saillantes et lourdement harnachés, firent mine de ralentir dans leur course effrénée en approchant de la place, traînant derrière eux le grand coche.

Imposant tant par sa hauteur que par ses parures, toutes plaquées d’or et d’acier sur le bois cramoisi, le véhicule passa bientôt devant la demoiselle. Elle abandonna aussitôt sa toile et se leva, posant un regard gorgé d’espoir sur le carrosse. Une mèche d’or fila devant l’une des fenêtres du coche, bientôt suivie du gracieux visage de sa passagère, blanc comme neige et tacheté de rousseurs délicates, d’une beauté simple et franche, sans ornements ni artifices. La jeune brodeuse se prit à rougir, prenant pour elle le sourire candide que la voyageuse adressait à tous les bons et loyaux sujets de son père.

Les chevaux continuant leur route dérobèrent bientôt à la demoiselle du peuple le sourire de sa voisine de haut lignage, faisant tourner le coche entier pour entrer par les grandes portes de la citadelle. Ces mêmes portes qui se refermèrent peu après dans un fracas assourdissant, arrachant la brodeuse à sa contemplation pour la plonger avec violence dans l’agitation citadine. Elle reprit son ouvrage avec un plaisir non feint, son visage reflétant encore le sourire de la noble demoiselle, et rêva des rencontres du lendemain, les yeux humides d’espérance.


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Orage

Ce qui suit est un court texte que j’ai rédigé le 4 septembre 2009, avec pour objectif de simplement « peindre » une situation, un lieu, un personnage, une ambiance. Je m’étais proposé d’écrire plusieurs textes de ce style, qui sont à l’heure actuelle au nombre de… deux. Celui-ci est le second. Je ne suis pas pleinement satisfait de cette production alors je serais heureux d’avoir vos commentaires et critiques.

Le ciel se déchira durant un instant fugace de froide lumière, donnant aux forêts d’automne un air famélique. Un craquement sinistre s’adjoignit à la pluie battante, suivi aussitôt d’un roulis qui dura, dura… avant de se taire enfin, tandis que ses yeux s’habituaient de nouveau aux ténèbres ; se détournant de la fenêtre qui l’exposait à la violence des intempéries, elle s’adossa au mur de pierre froide jouxtant la fenêtre et recouvert de tentures de velours. Prenant dans ses mains un pan de tissus, elle s’en fit comme une cape pour se protéger des vents. Ce n’est qu’alors qu’elle vit qu’une bourrasque avait soufflé chandeliers et lanternes. Sans s’inquiéter de la pénombre, elle se laissa glisser contre le mur afin de trouver place au sol, toujours serrant les tentures dans ses paumes ; la tringle se déroba et le tissus de velours vint recouvrir totalement son corps frêle. Dégageant sa tête pour pouvoir respirer, elle rit aux éclats alors que résonnaient au loin les échos d’un coup de tonnerre qu’elle n’avait perçu.

Toujours souriante, elle se laissa aller à écouter le chant de la pluie et la colère des noirs nuages. Un nouvel éclair vint éclairer la pièce : elle se trouvait assise contre le mur adjacent à la fenêtre, drapée dans ses tentures d’ocre et de pourpre, face au fauteuil où plus tôt dans la soirée elle avait brodé un mouchoir à ses couleurs. Deux autres fauteuils ainsi qu’une table basse le cernaient, formant un petit salon privé où inviter ses amies à prendre un thé et à discuter en toute insouciance. Son grand lit à baldaquin en bois de merisier se dressait fièrement contre l’un des trois murs aveugles de la salle rectangulaire, en partie dissimulé par le paravent bordeaux derrière lequel mademoiselle aimait à se changer. Ces couleurs, nuances et reliefs, elle ne pouvait que se contenter de leur souvenir, car la foudre rendait toutes choses plates, mornes et sans vie… froides. Elle prit conscience des frissons qui la parcouraient et se leva pour s’éloigner du mur glacial, toujours emmitouflée dans les tentures. Elle marcha quelque peu dans la pièce moite, humant l’air chargé et froid, puis s’assit dans un des fauteuils. Une théière en porcelaine et trois tasses se trouvaient sur un plateau de bois : elle avait oublié qu’on lui avait servi le thé avant que l’orage n’éclate… Elle songea à faire mander deux amies pour partager son thé mais il était vraisemblable que le breuvage fut déjà froid. Et puis il n’était plus l’heure pour une demoiselle bien éduquée de recevoir qui que ce soit.

Alors qu’elle commençait à s’assoupir, le ciel se vit affubler d’une nouvelle cicatrice et tonitrua sa douleur d’une voix beaucoup plus sûre et proche que précédemment. Voyant à la faveur de l’éclair que des bûchettes avaient été préparées pour le foyer, elle délaissa un moment ses draperies de velours pour aller jeter quelque bois dans l’âtre de la cheminée encore rougeoyant de braises. Elle regarda les plus petites bûches de hêtre s’embraser lentement puis retourna se blottir dans son fauteuil encore chaud. Bercée plus par la fatigue que par le ruissellement de la pluie, elle se mit à rêver des doux contes que lui racontait sa nourrice alors qu’elle n’était qu’une enfant, dans lesquels il était toujours question de belles princesses et de vaillants chevaliers, de puissants dragons et de vils enchanteurs… mais ici point de noblesse frivole ni de hobereaux, point d’animaux légendaires ni de mages, sa vie à elle n’était que tristesse et sombre ennui, et dans l’attente d’un événement qui y porterait un peu d’animation, le plus violent des orages était pour elle doux et attractif. Si doux qu’elle s’endormit…


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